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Des femmes de teint, des femmes qu'on craint, que difficilement on ne tint. Des femmes de taille, qui évitaient à leur royaume échecs, déboires et failles. Des femmes de caractère, des femmes qui ne se laissaient pas faire, qu'on ne saurait faire taire. Prêtes à en découdre avec quiconque entreprend d'assujettir leur royaume, le dan xo min (Dahomey, l'actuelle République du Bénin). Des femmes de voix, des lucarnes qui montraient la voie. Des femmes de lutte, des femmes de rage, de cris, de cor et de luthe. Des femmes sacrées et consacrées à la cause royale. Des femmes de combats, privées d'ébats et de toutes formes d'intimité. Des femmes qui portaient en leur sein leur royaume, leurs royautés, leurs règnes, c'est-à-dire le monarque, le roi et ses sujets. Elles avaient un seul crédo " Vaincre ou mourir ". Elles, ce sont les mino, métaphoriquement, appelées amazones, pour les rapprocher des mythiques amazones de l'ancienne Anatolie en Turquie.

Qui étaient alors ces mino, ces amazones ?

Les écritures testamentaires de l'ex royaume du Dahomey nous racontent que c'est sous le règne du troisième roi dudit royaume, Aho Houégbadja (1645-1685), que le premier régiment entièrement constitué de femmes a vu le jour. Les mino ou agodjié, appelées plus tard amazones par les occidentaux-colons et les historiens par analogie aux mythiques Amazones de l’ancienne Anatolie. C'était des femmes acquises à la cause du roi. Inconditionnellement rompues à la tâche. Le roi Agadja, quelques années après leur création, les auraient entrainées ou du moins certaines parmi elles à devenir garde du corps. Une junte, uniquement et univoquement de gentes, au départ chasseuses d'éléphants appelées en langue fon gbéto. Bref, une armée entièrement constituée de femmes, une armée féminine et féministe. La garde féminine rapprochée du roi. Elles aussi étaient recrutées selon des critères bien définis.

Des femmes viriles et non stériles

De par leur constitution physiologique et psychique, elles présentaient plus des traits physiques voire moraux d'homme que de femme. En d'autres termes, elles ressemblaient plus à des hommes qu'à des femmes. Crâne tondu, regard poignant et étreignant. Des femmes aux allures et aux carrures d'homme : des viragos. Des femmes-hommes. Des féminins-masculins. Des femmes masculinisées. Des femmes fortes aussi bien sur le plan physique que psychologique. Elles étaient naturellement dotées d'un corps et d'un mental d'acier. Elles étaient d'une psychologie assez forte. Ce qui sans doute les amenait à vite sacrifier dans leurs entrailles, l'infirme fraction sensible ou maternelle qui leur restait. En effet, les agoodjié  étaient d'abord les     femmes      du    roi. Seules épouses du roi elles dédiaient entièrement leur vie à celui-ci et faisaient un voeu d'abstinence sexuelle. Toutefois, certaines       d’entre elles connurent d'abord la grâce de la maternité - mères ou femmes enceintes - avant d'être admises au palais et sacralisées mino, consacrées et dévouées aux services du roi. Femmes sacrées elles étaient aussi respectées et craintes autant que le roi. À leur naissance, leurs filles, désormais princesses se joignaient systématiquement à elles. Les mino ou amazones ou encores les agodjié, c'était aussi des filles     vierges        qu'on allaient prendre avec ou sans le consentement ou l'approbation de leurs parents qui pour la plupart étaient réticents et essayaient vaille que vaille d'opposer leur résistance. Elles étaient arrachées de force à l'affection de leur famille. Des familles de la haute classe sociale ou de la haute bourgeoisie,  qui jouissaient d'une certaine notoriété, d'un certain prestige aux yeux du roi et de tout le royaume, de toute la communauté. On retrouvait également et, en grand nombre, dans le rang des amazones des esclaves qui, soit, étaient commises à des tâches domestiques et étaient aux petits soins quotidiens des mino ou rejoignaient par convenance la troupe, l'armée féminine, les agodjié. À leur suite nous pouvons voir les volontaires : ce sont  des filles  et       femmes qui allaient volontairement se faire enrôler au service militaire chez les, mino-agodjié. Honorant ainsi leur famille respective à qui était d'emblée et d'office conférée et par le monarque, une notoriété, une image de respectabilité et de crainte. Ces dernières étaient investies aux services de justice, au service secret de renseignement du roi et au service de discipline cultuelle et culturelle - Elles chatiaient les mis en cause en cas de sacrilège ou de profanation de rites ou de cultes ou en cas d'un manquement à l'autorité du monarque... - Les autres femmes qu'on pouvaient enfin voir dans la garde féminine du roi, sont celles qui lui sont gracieusement offertes ou par dévotion ou adulation ou par respect, considération, gratitude ou reconnaissance. Elles étaient des filles issues des familles qui en dénombraient à en oublier. Ou, selon ce que nous laissent lire les textes les plus anciens au sujet des mino, des filles très peu polies, des délinquantes, des libertines, des volages, des adulteresses ou encore des filles de moeurs légères ou fortement enclines à la bassesse. Celles que toute la famille dédaignait ou répudiait et voulait déjà s'en débarrasser pour ne plus avoir à la nourrir à l'entretenir.

Des femmes privées d'ébats, et enrôlées et rangées en bataille pour le combat

Dans leur serment, elles juraient une fidélité indéfectible et inconditionnelle au roi et faisaient également un voeu de célibat, de virginité, d'abstinence ou de continence. Elles avaient donc tout d'une femme mais elles avaient préféré ou étaient tout simplement contraintes de les tuer et de les inhumer au tréfond de leur être en vue de les fondre, de les dissoudre dans leurs hormones masculines dominantes pour entièrement se vêtir de leur posture d'homme.  Interdites de contact avec les hommes et privées de relations ou de plaisirs sexuels sous quelque forme qu'ils soient, elles devenaient  avec  le temps frigides et insensibles. Et pour totalement et définitivement tuer en elles toutes sensibilité, envie sexuelle et fécondité, certaines parmi elles étaient mutilées, excisées et ingurgitaient des gouttes de liqueur, des potions, des décoctions contraceptives.  . Celles qui en dépit de toutes ces précautions, enfreignaient à l'un de ces principes cardinaux dans la constitution et l'institution de la société des mino, encouraient la peine de mort ou le risque d'être bannies de ladite société et même du palais. Elles étaient admises au palais et ensuite casernées et formées au même titre que les hommes. Les lignes de l'histoire de l'ancien royaume du Dahomey nous ont permis de nous rendre compte de la rudesse de leurs formations qui étaient faites de marches, de courses et de sauts mais aussi de tauromachie. En fait, elles marchaient et couraient sur des kilomètres de voies sinueuses, rocailleuses ou épineuses. Elles sautaient du faîte de haies de grands et hauts arbres épineuses pour tomber et ramper sur des épines. Elles étaient aussi initiées dans leurs formations à une sorte de tauromachie où elles domptaient et subjuguaient voire, tuaient des taureaux à main nue, c'est-à-dire, sans la moindre arme. Elles étaient initiées au maniement d'armes et en avaient toutes, une maîtrise parfaite.  L'armé des Mino, comme toute autre était très hiérarchisée - D'abord des officières (« Gahu »), ensuite des sous-officières (« Ahouangan ») et enfin de simples soldates - et était composée d'environ  cinq mille (5 000) guerrières subdivisées en deux (02) corps ou régiments, répartis eux aussi en cinq (05) bataillons ou escadrons, régulièrement conduits par une officière qui se serait faite remarquée ou illustrée à travers des actions héroïques lors d'un combat. Les deux corps cardinaux qu'on pouvait nettement distinguer selon la tradition, sont ceux des « Aligossi » et des « Djadokpo ». Les premières (« Aligossi »), étaient en quelque sorte la garde royale et étaient ainsi chargées de la défense du palais et surtout de la sécurité et de la protection du roi. Les deuxièmes (« Djadokpo »), constituaient l’avant-garde de l’armée des mino-agodjié. Distinctement, et surtout de par leur tenue (tréllis) ou accoutrement on reconnaissait aussi les cinq (05) escadrons : l'escadron des « Agbaraya », armées de tromblons ; des « Gbéto », ou chasseuses d'éléphants ; des « Nyckphehthentok », qui sont chargées de l'équarrissage ; des « Galamentoh », armées de Winchester ; des archères avec leurs flèches empoisonnées. Elles étaient toutes ainsi formées pour semer la terreur.

Des femmes de terreur, d'horreur et d'honneur

Elles étaient des femmes éprises de hauts défis. Elles étaient passionnées d'affronts et n'hésitaient point à aller au front. Elles se montraient plus hardies, plus intrépides et étaient d'une férocité haineuse, hargneuse et enragée. Leur but n'étaient pas de ressembler aux hommes mais plutôt d'aller au-delà de leurs limites, les surpasser, vaincre là où, eux, ils ont eu à courber l'échine où ils ont eu à faire piètre figure. Elles trouvaient même qu'elles pouvaient se passer d'eux et le leur faisaient manifestement comprendre : « Hommes, hommes, restez ! Que les hommes restent ! Qu'ils cultivent le maïs et fassent pousser les palmiers, nous, nous, partons en guerre ! »  Rejetant et déjouant tout préjugé et système de pensée à leur sujet, elles prônaient et revendiquaient  un renversement des tendances et des valeurs et surtout une division du travail qui prendrait en compte leur existence : les premières donc à penser à l'émancipation de la femme et à la parité. Elles semaient la terreur à leur apparition, à leur  présence. C'était l'horreur, le chaos. De par leur apparat déjà, elles laissaient libre cours à l'effroi. Le crâne toujours tondu et souvent auréolé d'un bonnet-képi blanc, portant l'effigie d'un caïman bleu, elles se vêtaient selon les unités et selon les circonstances. Par exemple, quand elles allaient au front, au combat, les agoodjié d'abord éthiliques, se mettaient des tuniques grises tachetées de sang séché, parfois assorties d'écharpes blanches. Et pour plus inscrire l'épouvante, la psychose dans le camp adverse en vue de les déstabiliser, de les anéantir psychologiquement, elles se paraient le crânes, de scalps ou de mâchoires de leurs précédentes victimes. Se ceignaient la taille à l'aide d'une ceinture faite d'une collection de gris-gris et d'amulettes (offertes par le roi lui-même) pour s'épargner la mort et d'éventuelles blessures béantes. Bien d'autres quincailleries - des clochettes, des colliers et des bracelets, des perles en verres et en corail, des       anneaux en fer et en laiton, des cornes en argent ou en or -  venaient en appui, orner et renchérir leur apparat de fougue. C'est ainsi qu'elles allaient défendre leur royaume, le dan xo min. Leur leitmotiv  « Vaincre ou mourir ! Tuer sans se soucier de sa propre vie. »  Vaillantes, engagées et déterminées elles étaient allées, lors de la première guerre contre la France, faire preuve de ce que le roi n'avait pas eu tort d'avoir confiance en elles. Nous étions alors en 1892. La France, dans sa quête d'asseoir son hégémonie, adressa officielement au royaume et à toute son armé son casu belli. Une véritable déclaration de guerre. Un acte officiel, un incident diplomatique qui accusait les dahoméens d'« incivilité » - Ils faisaient allusion aux actes canibalistes et à la polygamie -  . Le défi ainsi lancé, les agoodjié leur lancèrent cette réponse : « Nous sommes créées pour défendre le Danhomè, ce pot de miel, objet de convoitise. Le royaume où fleurit tant de courage, peut-il abandonner ses richesses aux étranger ? Nous vivantes, bien fou, le peuple qui essayerait de lui imposer sa loi. » Et, elles étaient vraiment présentes et très représentatives, animées par leur volonté manifeste, leur engagement, leur détermination et leur rage de défendre les intérêts de dan xo min, leur royaume, leur chère patrie. La France même ne s'en revenait pas. Elle n'avait que ses yeux pour tracer elle-même les courbes statistiques de la suprématie, de la domination de l'armé des sacrées femmes guerrières, les mino, les agodjié, de dan xo min. Armées jusqu'aux dents, elles ne laissaient rien indemne sur leur passage. Elles étaient en effet, sur le champ de bataille, armées de mousquets à silex, de tromblons et de machettes et de leur arme la plus redoutable et redoutée : une sorte de rasoir européen, généralement long de70 cm, doté d'un mécanisme qui lui permettait de s’ouvrir automatiquement et qui, avec sa lame tranchante et bien aiguisée au préalable recevait le mandat de séparer chez les soldats français âme et jointure. Habilement, elles maniaient leurs lourdes massues et leurs lances, embuscadaient à l'aide de cordelette, gardaient captifs leurs victimes ou les décapitaient en cas de zèle. Les quelques unes qui mouraient parmi elles étaient sans attendre, dignement inhumées dans un linceul, - Il était toujours prévu dans leur équipage -  et étaient ainsi directement transportées au pays de mahu, grâce à leurs gris-gris et amulettes. Le reste de la troupe retournaient au palais avec les otages et le butin et surtout remarquablement avec les têtes des soldats du camp adverse signe de leur victoire et, recevaient ainsi les honneurs du roi qui les gratifiait notamment de médailles frappées à son effigie et de cauris qui était la monnaie en cours à cette époque. Ainsi se présentait, fonctionnait et opérait l'armé des mino-agodjié avant d'être dissoute par le roi Agoli Agbo au lendemain du protectorat français, du 17 novembre 1897. Certes, l'armé a étê dissoute au XVIIIè siècle, mais elles existent encore aujourd'hui, les amazones : les amazones des temps modernes.

Mais qui sont ces amazones des temps modernes ?

Elle étaient déjà présentes dans la période coloniale et avaient joué un rôle prépondérant au côté des hommes, dans la lutte pour la libération et l'indépendance des peuples africains donc, du Dahomey. Avec engagement, détermination et audace elles accompagnaient leurs maris dans les instances de décisions et avaient aussi leur mot à dire. Enceintes ou nourrices, jeunes ou vieilles elles rassemblaient et concentraient toute leur énergie dans la lutte syndicale. Elles abandonnaient, laissaient tout derrière elles, usaient de toute leur force et passaient par tous les moyens possibles pour se faire entendre. Elles réclamaient, revendiquaient et exigeaient la cessation de l'expansion colonialiste et la libération des peuples dahoméens. À l'instar de leurs maris, elles avaient ras-le-bol de l'usurpation et de l'expropriation des terres des Houégbadjavi qu'orchestrait la puissance coloniale. À corps et à cris, branchages en main comme les femmes des cheminots de Dakar, dans Les Bouts de bois de Dieu, sifflet au bord des lèvres, la tête enturbannée ou ceinte de banderole rouge, elles le manifestaient. Ainsi, des royautés à la révolution de 1972, de la révolution de 1972 à la conférence des forces vives de la nation de février 1990 qui a vu s'éclore l'ère du renouveau démocratique, elles ont pu faire face aux différentes intempéries socio-politiques et économiques du pays. Fortement et activement présentes dans la vie associative et communautaire elles ont eu à jouer un rôle considérable dans un pays à économie faible et dominée comme le nôtre, et, dans une atmosphère moribonde et chaotique de gel ou de non paiement de salaires aux travailleurs que nous imposait et infligeait le PAS (Programme d'Ajustement Structurel). À cettes époque où plus rien n'allait où les hommes étaient financièrement devenus tétraplégiques, elles, elles étaient là, actives. Elles avaient encore le souffle et le courage pour retrousser leurs manches pour se battre pour la survie de leur foyer, de leur famille respective. Elles arrivaient en effet, avec de menues activités génératrices de revenues à subvenir aux différents besoins de leur famille instaurant et instituant ainsi le secteur informel au Bénin. Depuis lors, le glas de la marginalisation de la femme dans la société commença par tinter pour enfin retentir sous le marxiste-léniniste  avec la mise au jour de l’Organisation des Femmes Révolutionnaires du Bénin (OFRB) en 1983. Ce mouvement, aussitôt, qu'elle ait vu le jour, a commencé par organiser des manifestations de la Journée Internationale de la Femme (JIF) tous  les 8 mars avec à la clé des litanies de revendications, pour exiger du pouvoir politique une amélioration de leur condition de vie et de travail, l'égalité des sexes, l'émancipation et la parité. Ces différentes actions amorcées déjà par les femmes à l'orée des années 90, ont finalement permis à partir de 1990, adoption, ratification et promulgation de lois en faveur de la femme béninoise, aussi bien sur le plan juridique, politique, qu'économique et social. Et nous pouvons évoquer principalement la Constitution du 11 décembre 1990 qui pose les bases fondamentales en matière de respect de la personne humaine et qui accorde et consacre en son article 124 le principe d’égalité des sexes ; la loi n°98-004 du 27 janvier 1998 portant Code du travail qui reconnaît des droits spécifiques aux travailleuses de sexe. On ne saurait également occulter le Code des personnes et de la famille, la loi portant répression des violences faites aux femmes, qui accorde le principe de l’égalité des sexes et promeut le statut juridique de la femme au Bénin. A cela s’ajoutent les diverses instances internationales et régionales de promotion et de défense des droits et intérêts de la femme. Nous pouvons donc dire pour finir que cette lutte des femmes amorcée depuis la royauté s’est vue renforcée au lendemain du soleil des indépendances et au fil des années et des régimes. Ainsi de l’ancien président de la république, feu Mathieu Kérékou, en passant par Nicéphore Dieudonné Soglo, le Docteur, Thomas Boni Yayi et aujourd'hui, Guillaume Athanase Patrice  Talon, on retiendra que les femmes ont pu gagner le pari et arrivent vraiment à se frayer une place dans  l'arène de la gestion de la res publica dans une organisation purement patriarcale. Et, qu'elles soient leaders politiques, administratives ou associatives, femmes de ménage ou ménagères, femmes célibataires ou précocement admises aux voeuvages, voire travailleuses ou professionnelles de sexe elles continuent  encore de se battre pour faire bouger et  changer les choses, renverser tout système de pensées féodales ou sophistes afin de  pouvoir totalement prendre et s'installer à la place qui leur est normalement échue dans cette société qui demeure calquée sur le patriarcat.

 

                                                                                                                           Clément HOUEYOKON

 

 

Date de publication: 16/05/2023
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