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Le dimanche 17 décembre 1916, dans le village Baubra - actuelle commune de Bembèrèkè - disparaissait, sous le bruit des balles des hommes du commandant français Ferius, le prince wassangari Bio Guerra. L’information, comme une trainée de poudre, se répandit partout et la population qui croyait son héros invincible, ne céda pas à la panique. Mais de tous les vents, la nouvelle revint, plus insistante, finissant par provoquer la consternation dans le pays. La guerre que le prince avait commencée contre l’occupant français venait ainsi de s’achever, scellant définitivement l’entrée de cette localité dans l’ère et l’administration coloniales.

Comment cet homme, cavalier et meneur d’hommes ou grand leader, a-t-il réussi à construire ce parcours de résistant ? Qu’est-ce qui a motivé cette résilience peu ordinaire et donc peu commune ? Que connait-on du personnage, de ses parents, de son enfance ? Plus d’un siècle après ses derniers soupirs sur le champ de bataille et quarante-sept ans après avoir été déclaré « héros national », Bio Guerra continue encore de susciter intérêt et fascination. Comme Gbêhanzin, sa vie et ses œuvres méritent d’être connues. Les valeurs qu’il a défendues et qui ont fait de lui une figure marquante et emblématique de notre histoire se doivent et méritent d’être transmises, d’être léguées à la postérité et ceci, de génération en génération.

De sa naissance en 1856 à Gbassi (Kalalé) à sa disparition en 1916, Bio Guerra aura vécu une vie pleine, partagée entre ses activités paysannes et son engagement politique devenu, au fil de l’évolution de l’armée coloniale française sur ses terres, une rébellion armée, puis une force de résistance.

De son nom de prince wassangari Gbaasi N’Guerra, le futur Bio Guerra était un cultivateur dévoué à son travail à l’exemple de plusieurs de ses congénères. Eduqué à monter à cheval, à manier l’arc et les flèches, à servir comme guerrier de réserve de l’armée du roi du Nikki, il devint chef du village de Gbêkou dans la commune de Bembèrèkè, poste qu’il occupa à mi-temps ou en temps partiel, le reste de ses activités étant champêtres.

En 1910, les Français, après avoir défait le royaume du Danhomè, initièrent une autre expédition militaire pour concrétiser leur volonté de soumettre les territoires du nord jusqu’à la boucle du Niger. Il s’agissait pour eux, de parachever la conquête de l’ensemble du pays. Ils signèrent alors un accord de protectorat avec le roi de Nikki. Mais en réalité, c’était un subterfuge pour limiter le pouvoir du souverain et occuper le terrain. Bio Guerra observa l’évolution de la présence française avec doute et interrogations.

Les Français ne cachèrent plus alors leurs intentions. Ayant quasiment quadrillé et militarisé l’ensemble du royaume, ils firent progressivement de ses habitants, leurs nouveaux sujets. Ils élargirent ainsi leur hégémonie en instaurant et imposant leurs lois, créèrent des taxes, érigèrent des barrières, des frontières et contraignirent les populations au bout de la baïonnette ou à coup de carrosse, à s’y conformer.

Pour Bio Guerra, il s’agissait d’un impérialisme d’Etat, l’occupation de leur terre par une force étrangère. Grâce à sa prestance, à sa notoriété, à sa côte de popularité et avec la complicité de ses congénères, il mobilisa discrètement des jeunes, les organisa en de petits groupes, une sorte de troupes et défia ainsi, l’autorité coloniale en exhortant toute la population à ne payer ni impôt, ni taxe imposés par le colon. Effarouchés par cet élan héroïque, le patronat français se rendit à Gbékou pour le faire arrêter et le faire incarcérer. Et, Bio Guerra ayant gagné le maquis, les nouveaux maitres en profitèrent pour le destituer, installant à sa place quelqu’un d’autre qui leur fit allégeance et leur jura une déférence et une fidélité obséquieuses.

Malgré cette décision, la défiance, à l’égard des Français par la population, ne s’estompa guère. Beaucoup d’habitants continuaient par s’opposer aux nouvelles règles de l’administration naissante, en restant réfractaires aux impôts et aux taxes. Bio Guerra, discrètement, les y encourageait, en multipliant auprès des jeunes qu’il contactait nuitamment, de fermes instructions et injonctions de désobéissance, nourrissant et rendant ainsi la fronde plus forte. Souvent taxé de « rebelle », Gbaassi N’Guera fut finalement et officiellement déclaré « ennemi public » dont il fallait se débarrasser.

Dans la périphérie de Bembèrèkè, Nikki, Parakou, les attaques contre les soldats français se multiplièrent. Une guérilla sanglante monta au front et fit spectaculairement preuve de doigté et de dextérité à travers maintes opérations de traque et de tueries en série, et les chiffres statistiques s’annoncèrent faramineux dans le camp de l’armée d’occupation. Deux facteurs intrinsèques ont eu à militer en faveur du souverain-résistant, l’impérial et l’imparable Bio Guerra, et à considérablement jouer dans cette victoire légendaire : sa connaissance et sa maitrise du terrain et la disponibilité de ses continuelles ou encore espions disposés un peu partout et stratégiquement dans la région.

Les Français avaient quand même réussi à pouvoir s’infiltrer et à implanter un camp à Bembèrèkè d’où leurs forces partaient pour effectuer des opérations dans les environs. Bio Guerra attendit le retour des soldats déployés dans les localités avoisinantes pour organiser le siège de la ville. En fait, il s’agissait pour le prince wassangari et ses hommes de priver les troupes étrangères de vivres en vue de les asphyxier, de les anéantir sans avoir à recourir forcément aux munitions. Du 12 au 29 octobre 1916, le quartier général des Français fut contraint de rester enfermé et, dans son courroux sans cesse endurci, et pour leur empêcher le ravitaillement, Bio Guerra coupa les seules et uniques voies fluviales et terrestres les plus accessibles et praticables. Les éventuels renforts du camp adverse, les « singes roux » - c’est ainsi qu’ils se faisaient appeler - venait soit de Parakou soit d’Abomey.

Si les premières semaines lui semblaient favorables, le temps finit par jouer contre le rebelle wassangari. Longtemps enfermés et privés de ressources vitales, les envahisseurs trouvèrent enfin le moyen d’exfiltrer des premières lignes du front en se déguisant et en se travestissant. Ceux-ci allèrent informer les troupes qui attaquèrent sans attendre les hommes de Bio Guerra. Le prince wassangari et ses fidèles durent se replier dans la forêt. L’armée française organisa une traque impitoyable contre eux. Epuisé et ployant sous le poids de l’âge et surtout de toutes ces années de rébellion, Bio Guerra finit par être repéré et rattrapé à la hauteur de Bobra, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Bembèrèkè. Il était avec son fils ainé et une trentaine de ses hommes.

Après un heurt d’une heure, il est abattu au même moment que toute sa suite, le 16 décembre 1917.

 

     

                                                                       Un récit de Florent COUAO-ZOTTI

Date de publication: 16/05/2023
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